jueves, 9 de octubre de 2025

« Barbara » Jacques Prévert, Paroles, 1946

Rappelle-toi Barbara 
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là 
Et tu marchais souriante Épanouie ravie ruisselante 
Sous la pluie 
Rappelle-toi Barbara 
Il pleuvait sans cesse sur Brest 
Et je t'ai croisée rue de Siam 
Tu souriais 
Et moi je souriais de même 
Rappelle-toi Barbara 
Toi que je ne connaissais pas 
Toi qui ne me connaissais pas 
Rappelle-toi 
Rappelle-toi quand même ce jour-là 
N'oublie pas 
Un homme sous un porche s'abritait 
Et il a crié ton nom Barbara 
Et tu as couru vers lui sous la pluie 
Ruisselante ravie épanouie 
Et tu t'es jetée dans ses bras 
Rappelle-toi cela Barbara 
Et ne m'en veux pas si je te tutoie 
Je dis tu à tous ceux que j'aime 
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois 
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment 
Même si je ne les connais pas 
Rappelle-toi Barbara 
N'oublie pas 
Cette pluie sage et heureuse 
Sur ton visage heureux 
Sur cette ville heureuse 
Cette pluie sur la mer 
Sur l'arsenal 
Sur le bateau d'Ouessant 
Oh Barbara 
Quelle connerie la guerre 
Qu'es-tu devenue maintenant 
Sous cette pluie de fer 
De feu d'acier de sang 
Et celui qui te serrait dans ses bras 
Amoureusement 
Est-il mort disparu ou bien encore vivant 
Oh Barbara 
Il pleut sans cesse sur Brest 
Comme il pleuvait avant 
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé 
C'est une pluie de deuil terrible et désolée 
Ce n'est même plus l'orage 
De fer d'acier de sang 
Tout simplement des nuages 
Qui crèvent comme des chiens 
Des chiens qui disparaissent 
Au fil de l'eau sur Brest 
Et vont pourrir au loin 
Au loin très loin de Brest 
Dont il ne reste rien. 

Traducción

Recuerda Barbara 
Llovia sin parar en Brest ese día 
 Y caminabas sonriendo 
 Floreciendo, encantada, goteando 
 Bajo la lluvia 
 Recuerda Barbara 
 Llovia sin parar en Brest 
 Y me crucé contigo en la rue de Siam 
 Sonreías 
 Y yo también sonreí 
 Recuerda Barbara 
 A ti, a quien no conocía 
 A ti, que no me conocías 
 Recuerda 
 Recuerda ese día de todos modos 
 No lo olvides 
 Un hombre se refugiaba bajo un porche 
 Y gritó tu nombre Bárbara 
 Y corriste hacia él bajo la lluvia 
 Goteando, encantada, goteando 
 Y te arrojaste a sus brazos 
 Recuérdalo, Barbara 
 Y no te enfades conmigo si te tuteo 
 yo tuteo a todos los que quiero 
 Aunque solo los haya visto una vez 
 Tuteo a todos los que se quieren 
 Aunque no los conozca 
 Acuerdate Barbara 
 No lo olvides 
 Esta lluvia sabia y feliz 
 En tu rostro feliz 
 En esta ciudad feliz 
 Esta lluvia sobre el mar 
 Sobre el arsenal 
 Sobre el barco de Ouessant 
 Oh, Bárbara 
 Qué absurdo (cabronada) es la guerra 
 ¿En qué te has convertido ahora? 
 Bajo esta lluvia de hierro 
 De fuego, acero y sangre 
 Y el que te abrazó 
 Con cariño ¿Está muerto, ha desaparecido o sigue vivo aún? 
 Oh, Bárbara 
 Llueve sin parar sobre Brest 
 Como antes 
 Pero ya no es lo mismo y todo está perdido 
 Es una lluvia de duelo terrible y desolada 
 Ya ni siquiera es una tormenta 
 De hierro, acero y sangre 
 Simplemente nubes 
 Que revientan como perros 
 Perros que desaparecen 
 Junto al agua sobre Brest 
 Y se pudren en la distancia 
 Lejos, muy lejos de Brest 
 Donde ya no queda nada. 

 Paroles est un recueil de 95 poèmes de Jacques Prévert (1900-1977) publié pour la première fois en 1946[1]

Les textes de Jacques Prévert ont d'abord été publiés isolément dans diverses revues depuis les années trente (le Commerce, Bifur, la Révolution surréaliste, Cahiers GLM /Guy Lévis-Mano, Soutes, Cahiers d'art) avant d'être regroupés partiellement de façon amateur par des étudiants de Reims à la fin de la guerre. En 1945, René Bertelé réunit à son tour les textes de Jacques Prévert avec l'accord du poète pour la maison d'édition qu'il vient de créer les Éditions du Point du jour et il publie le recueil le 10 mai 1946 sous le titre Paroles dans la collection le Calligraphe avec une couverture du photographe Brassaï. Le succès est immédiat : une première réédition de 5 000 exemplaires est lancée une semaine après, puis d'autres pour atteindre le chiffre, spectaculaire pour un recueil de poèmes, de 25 000 la première année. En 1947 René Bertelé publie une édition augmentée de seize textes, toujours au Point du jour et toujours avec succès.

Gallimard qui a racheté les éditions de René Bertelé en transformant Le Point du jour en une collection que continue à diriger son créateur, réédite Paroles en 1949 et de nouveau en 1951 et 1956. En 1957, le recueil est publié en Livre de poche avec la couverture de l'édition originale: la photographie de Brassaï qui représente un mur gris couvert de graffiti sur lequel on a peint en écriture manuscrite rouge le titre et le nom de l'auteur. En 1972 Paroles paraît dans la collection Folio, avec en couverture le portrait en noir et blanc de Jacques Prévert photographié par Doisneau, le graphiste ayant rajouté une touche rouge à la cigarette que fume dans une attitude populaire le poète. La diffusion en collection de poche ne faiblit pas et avec environ 2,5 millions d'exemplaires, Paroles représente la 4e meilleure vente dans ce domaine après L'Étranger, La Peste de Camus et Knock de Jules Romains, ce qui fait de Jacques Prévert de loin le poète le plus lu[Note 1] de la littérature française.

Le couronnement éditorial survient comme un pied-de-nez posthume du poète iconoclaste en 1992, avec la publication de ses œuvres dans la prestigieuse collection de la Pléiade.

Présentation

Aspect

Paroles comporte 95 textes non ponctués de forme et de longueur très variées. Les textes les plus longs sont placés principalement au début du recueil (Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France, 11 pages – Souvenirs de famille, 13 pages - Évènements, 9 pages). Le plus long, La crosse en l'air (35 pages) est au milieu de l'œuvre et on retrouve un texte assez long, rajouté plus tard, en fermeture du recueil (Lanterne magique de Picasso – 7 pages). Les autres textes vont de deux lignes (Les Paris stupides) à quelques pages en passant par des poèmes très courts (Alicante, 6 vers – Le grand homme, 4 vers – L'amiral, 5 vers avec 15 mots au total), des textes d'une petite page (Le cancre, 17 vers - Le miroir brisé, 16 vers - La fête continue, 18 vers) ou des textes de deux pages (Page d'écriture - Barbara - Complainte de Vincent…).

La forme est également très variée avec des textes en prose (Souvenirs de famille – certains passages du Dîner de têtes), des saynètes dialoguées en vers libres (L'orgue de barbarie – La chasse à l'enfant - L'accent grave…) et un emploi plus traditionnel du vers libre avec parfois l'utilisation partielle de rimes irrégulières (Pour toi mon amour – Complainte de Vincent - Barbara). La présence de l'oralité revendiquée conduit aussi à l'utilisation de la reprise sinon du refrain (Barbara – Chasse à l'enfant – Je suis comme je suis…) qui font de ces textes des chansons qui seront d'ailleurs, ainsi que d'autres poèmes du recueil, mises en musique par Joseph Kosma.

Danièle Gasiglia-Laster et Arnaud Laster ont bien montré que les textes de Prévert, sous leur apparente simplicité, relèvent d'un intense travail de construction et de précision, sont d'une grande richesse de sens, abondent en références culturelles.[réf. souhaitée]

Procédés stylistiques
Les aspects dominants de l'art de Jacques Prévert que souligne d'ailleurs le titre Paroles sont la spontanéité et l'oralité nourries des influences surréalistes faites d'expressivité nouvelle et de provocation.

Prévert a ainsi fréquemment recours à la recherche d'expressions corrosives et au rire en jouant sur les mots comme ici : « Notre père qui êtes aux cieux / Restez-y… » (Pater noster) – « Larima / Larima quoi / La rime à rien » (L'amiral) – « Un vieillard en or avec une montre en deuil » (Cortège) - « Le monde mental / Ment / Monumentalement » (Il ne faut pas). Le jeu sur les mots est d'ailleurs constant dans l'œuvre, même en dehors de la dérision, un seul exemple de cette réussite littéraire suffira : « Démons et merveilles » (Sables mouvants). Un autre procédé très fréquent est celui de l'accumulation associée à l'anaphore ; par exemple : ouverture du Dîner de têtes (« Ceux qui pieusement / Ceux qui copieusement »…) dans lequel se glisse une parodie de Péguy, ou dans Salut à l'oiseau ou encore Cortège. Le vocabulaire simple et concret est une autre caractéristique permanente de Paroles, par exemple dans La pêche à la baleine – Déjeuner du matin – La batteuse – Inventaire (« Une pierre / Deux maisons / trois ruines… ») avec parfois même une réelle violence (exemple : « Toute la batterie de cuisine du Saint Office des morts » (La Morale de l'histoire).

En dehors des moyens classiques de l'expression poétique comme le jeu sur les rythmes et les sonorités comme l'allitération dans Barbara : « Sous cette pluie de fer / De feu, d'acier, de sang », c'est la richesse et l'expressivité des images qui est remarquable chez Prévert. Elles sont extrêmement nombreuses et en voici quelques exemples : "« Dans les sables du lit tu remues en rêvant » (Sables mouvants) - « Voici le temps des égoutiers » (Le temps des noyaux) - « Ceux qui sont chauves à l'intérieur de la tête » (Dîner de têtes) - « L'éblouissant orage du génie de Vincent » (Complainte de Vincent)".
{En las arenas del lecho te revuelves mientras sueñas" (Arenas movedizas) - "Este es el tiempo de los trabajadores de las alcantarillas" (El tiempo de los pozos) - "Los que son calvos por dentro de la cabeza" (Cena de cabezas) - "La tormenta deslumbrante del genio de Vincent" (La queja de Vincent)}. 

Thèmes
Les thèmes du recueil sont nombreux : ils se croisent souvent et sont mis en valeur par les procédés poétiques efficaces.

La dénonciation de la violence, de la guerre (1945 = après la guerre), de la politique bourgeoise, de la religion est peut-être le thème dominant : il s'agit d'une mise en cause violente des puissants qui renvoie à l'engagement de Prévert dans l'agitprop avec le groupe Octobre. Antimilitariste (Le temps des noyaux – Quartier libre…), anticlérical (La crosse en l'air – Pater noster – La cène – La morale de l'histoire…), défenseurs des humbles (humildes) contre l'argent bourgeois (Le discours sur la paix - La batteuse…(la trilladora)), il fait également référence à l'actualité de son époque (guerre d'Espagne et guerre d'Éthiopie dans Lanterne magique de Picasso et La crosse en l'air, bombardement de la deuxième guerre mondiale dans Barbara ou fascisme dans L'ordre nouveau). Il associe ainsi dans ses répulsions la trinité pétainiste en mettant en cause les valeurs de la famille (Familiale – La pêche à la baleine), la patrie (L'épopée – Histoire du cheval) et le travail qu'il présente comme une exploitation et une humiliation (Le temps perdu - Le paysage changeur – Dîner de têtes - L'effort humain où l'on trouve une expression qui résume tout : « La terrifiante chaîne où tout s'enchaîne / la misère le profit le travail la tuerie» {El esfuerzo humano donde encontramos una expresión que lo resume todo: “La aterradora cadena donde todo está enlazado / miseria lucro trabajo matanza}. Prévert dénonce aussi d'autres oppressions comme l'emprisonnement (La chasse à l'enfant) ou la colonisation (L'effort humain) ou encore l'école et ses références (Le cancre – Les Paris stupides – Composition française…). Il s'agit donc explicitement d'une poésie socialement et politiquement engagée: Jacques Prévert a choisi son camp.

Le thème de la vie quotidienne, de la société, du temps, et des lieux de Paris est également récurrent dans le recueil (La rue de Buci maintenant – Place du Carrousel - Le jardin…) et fait de Prévert un poète attachant de la ville et du monde populaire. On le qualifie de « Parisien bohème». {El tema de la vida cotidiana, la sociedad, el tiempo y los lugares de París también es recurrente en la colección (La rue de Buci maintenant – Place du Carrousel – Le jardin…) y convierte a Prévert en un poeta cautivador de la ciudad y del mundo popular. Se le describe como un «parisino bohemio».}

En contrepoint à la violence révolutionnaire et anarchiste, Paroles exploite les thèmes lyriques traditionnels de l'amour, de l'enfance et de l'oiseau mais sans exaltation du « je » romantique : il s'agit plutôt d'une recherche du bonheur individuel et collectif fait de sensualité (Sables mouvants – Paris at night), de liberté (Le cancre – Salut à l'oiseau) où l'innocence et la fragilité sont protégées même si les peines de cœur continuent à exister (Le désespoir est assis sur un banc - Rue de Seine - Pour toi mon amour – Le miroir brisé avec ces quelques vers : «Et j'ai mis la main sur mon cœur / où remuaient / ensanglantés / les sept éclats de glace de ton rire étoilé »). {Y puse mi mano sobre mi corazón / donde se agitaron los siete fragmentos de hielo de tu risa estrellada / ensangrentados »} Un dernier thème notable est celui de l'art et de la création avec des références à van Gogh (Complainte de Vincent), peintre de violence, de sang et de vie et à Picasso, qui bouscule la représentation de la réalité (Promenade de Picasso - Lanterne magique de Picasso). Jacques Prévert donne aussi la clé de sa recherche artistique dans Pour faire le portrait d'un oiseau, sorte d'art poétique où l'idéal est « quelque chose de simple /quelque chose de beau / quelque chose d'utile… » ou encore quand il oppose « jouer du chien à poil dur » à « jouer du caniche » dans Le concert n'a pas été réussi. {o cuando contrasta "interpretar a un perro de pelo duro" con "interpretar a un caniche" en El concierto no fue un éxito.}

Sommaire de Paroles

Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France 
Histoire du cheval 
La pêche à la baleine 
La belle saison 
Alicante 
Souvenirs de famille ou l'ange garde-chiourme {Recuerdos familiares o el ángel guardián de la prisión}
J’en ai vu plusieurs 
Pour toi mon amour 
Les grandes inventions 
Événements 
L'accent grave 
Pater noster 
Rue de Seine 
Le cancre 
Fleurs et couronnes 
Le retour au pays 
Le concert n'a pas été réussi 
Le temps des noyaux 
Chanson des escargots qui vont à l'enterrement 
Riviera 
La grasse matinée {Durmiendo en}
Dans ma maison 
Chasse à l'enfant 
Familiale 
Le paysage changeur 
Aux champs... 
L'effort humain 
Je suis comme je suis 
Chanson dans le sang 
La lessive {lavadero}
La crosse en l'air 
Cet amour 
L'orgue de barbarie {El organillo}
Page d'écriture 
Déjeuner du matin 
Fille d'acier 
Les oiseaux du souci {Los pájaros de la preocupación}
Le désespoir est assis sur un banc 
Chanson de l'oiseleur {Canción del cazador}
Pour faire le portrait d'un oiseau 
Sables mouvants 
Presque 
Le droit chemin 
Le grand homme 
La brouette ou les grandes inventions {La carretilla o los grandes inventos}
La Cène 
Les belles familles 
L'école des beaux-arts 
Épiphanie 
Écritures saintes 
La batteuse 
Le miroir brisé 
Quartier libre 
L'ordre nouveau 
Au hasard des oiseaux {Pájaros al azar}
Vous allez voir ce que vous allez voir 
Immense et rouge 
Chanson 
Composition française 
L'éclipse 
Chanson du geôlier {Canción del carcelero}
Le cheval rouge 
Les Paris stupides 
Premier jour 
Le message 
Fête foraine {Parque de atracciones}
Chez la fleuriste 
L'épopée 
Le sultan 
Et la fête continue 
Complainte de Vincent 
Dimanche 
Le jardin L'Automne 
Paris at night 
Le bouquet 
Barbara 
Inventaire 
La rue de Buci maintenant 
La morale de l'histoire 
La gloire 
Il ne faut pas... 
Conversation 
Osiris ou la fuite de l'Egypte 
Le discours sur la paix 
Le contrôleur 
Salut à l'oiseau 
Le temps perdu 
Les Enfants qui s’aiment 
Les Feuilles mortes 
L'amiral 
Le combat avec l'ange 
Place du carrousel 
Cortège 
Noces et banquets 
Promenade de Picasso 
Lanterne magique de Picasso 
Letras


Les Feuilles mortes

Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
Des jours heureux où nous étions amis
En ce temps-là, la vie était plus belle
Et le soleil plus brûlant qu'aujourd'hui
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Tu vois, je n'ai pas oublié
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi
Et le vent du Nord les emporte
Dans la nuit froide de l'oubli
Tu vois, je n'ai pas oublié
La chanson que tu me chantais
C'est une chanson qui nous ressemble
Toi tu m'aimais, et je t'aimais
Nous vivions tous les deux ensemble
Toi qui m'aimais, moi qui t'aimais
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis
La, la, la, la
La, la, la, la
La, la, la, la
La, la, la, la
La, la, la, la
La, la, la, la
La, la, la, la
La, la, la, la
Mais la vie sépare ceux qui s'aiment
Tout doucement, sans faire de bruit
Et la mer efface sur le sable
Les pas des amants désunis

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