«Manière de voir» n°131 / Octobre-novembre 2013. Publicación de Le Monde Diplomatique
Sait-on encore ce qu'on attend de l'école? Qu'elle résolve les maux de la société, face auxquels les dirigeants politiques se disent impuissants? Qu'elle fournisse aux entreprises des salariés «compétents»? Ou, plus simplement, qu'elle se concentre sur sa mission initiale: former des citoyens critiques?
I. La reproduction des inégalités
Aux yeux de l'éditorialiste américain Nicholas Kristof, cela ne fait aucun doute: la mesure qui, aux Etats-Unis comme ailleurs, contribuerait le plus à réduire les inégalités sociales serait d'«améliorer l'éducation». Parmi les dirigeants politiques, les intellectuels en vue, les «experts» en tout genre qui peuplent les plateaux de télévision, l'analyse est largement partagée: les connaissances acquises sur les bancs de l'école offriraient le plus solide remblai pour combler le fossé séparant dominants et dominés.
Et si c'était tout le contraire? Et si, plutôt que de les atténuer, le système d'enseignement contribuait à consolider les hiérarchies qui structurent la société?
«Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante.» L'observation de Karl Marx et Friedrich Engels pourrait s'appliquer à l'école, tant la méritocratie sur laquelle repose le système scolaire épouse les caractéristiques de la culture bourgeoise. Indépendamment des efforts et des convictions du personnel enseignant, cette institution masque les déterminants de la réussite : l'inégale répartition du capital économique, culturel et social. Et, au prétexte de promouvoir les «méritants», légitime une injustice. Car ce sont les fils et filles de bonne famille qui obtiennent les diplômes les mieux valorisés et qui accèdent aux positions de pouvoir.
II. Sous l'emprise du privé
«Autonomie», «projets», «objectifs», «compétences»... En matière d'éducation, le vocabulaire utilisé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sonne étrangement. Emprunté aux pédagogues du début du XXe siècle les plus opposés à la transformation capitaliste de l'école, il sert aujourd'hui à justifier la libéralisation des systèmes éducatifs et à édifier cette «nouvelle école» que l'obsession du privé semble le mieux caractériser.
Accélérant le rythme de cette métamorphose, les politiques d'austérité pourraient fournir l'occasion de réaliser le projet dont tant de conservateurs rêvent encore: privatisation, marchandisation et conversion de l'école en «annexe» de recrutement des entreprises. En mettant les salariés en concurrence, la société libérale incite parents et élèves à adapter leur conduite - parfois au prix d'un lourd endettement -en portant leur choix sur les établissements et les filières débouchant sur les titres scolaires les plus facilement monnayables sur le marché du travail.
Privé des moyens de remplir sa mission, le service public de l'éducation se trouve dégradé, délégitimé, tandis que croît la souffrance d'enseignants désireux d'oeuvrer à l'émancipation collective et que prospèrent les entrepreneurs scolaires...
Devant une telle offensive, les appels à la «sanctuarisation» font figure de voeu pieux: comment l'école pourrait-elle se constituer en îlot de coopération au beau milieu d'un océan de compétition?
Comme si l'école était une entreprise...
Christian Laval et Louis Weber
Décentraliser l'éducation pour mieux la privatiser.
F. P.
III. Les voies de l'émancipation
«Les éducateurs du peuple ne feront une oeuvre pleinement efficace que lorsqu'une philosophie politique et sociale réglera et animera leur effort d'éducation», proclamait Jean Jaurès au début du siècle dernier. Adossée à un projet politique suffisamment puissant, l'école ne se limiterait donc pas à sa fonction de reproduction des inégalités. Elle retrouverait son rôle premier: produire du savoir.
Les penseurs et les militants progressistes ne s'y sont pas trompés. Conscients qu'il n'existe pas de force intrinsèque des idées vraies, ceux-ci ont de tout temps misé sur l'éducation pour former leurs militants, aiguillonner les consciences et mettre en mouvement les foules. Des bancs de l'école aux partis politiques, en passant par les discussions informelles sur le lieu de travail, les ateliers de formation syndicale, les conférences prononcées dans le cadre des activités d'une multitude d'associations d'éducation populaire, l'édification des forces sociales susceptibles de bousculer le statu quo constitue un travail de tous les instants.
Et sans certitude d'accumulation. Car il se heurte à une autre forme de pédagogie: celle de la soumission, élaborée à longueur d'antenne, page après page, par les éditorialistes et commentateurs attitrés des médias dominants. Pour ceux-là, une seule urgence: engendrer l'apathie et la «non-participation» que la très conservatrice Commission trilatérale identifiait, dès 1975, comme essentielles au «fonctionnement efficace d'un système démocratique»...
Le rêve égalitaire de la société finlandaise
Philippe Descamps
Numéro coordonné par Renaud Lambert et Allan Popelard
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viernes, 20 de septiembre de 2013
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